Les sentinelles du lagon

par | 22 Déc 2024 | Reportage

Résumé : Ina’a à Tahiti ou bichique à la Réunion, ces alevins pêchés pendant certaines périodes de l'année aux embouchures des rivières font le bonheur des pêcheurs et des amateurs de beignets de ina’a ou de carry bichique. Mais avant d'arriver dans vos assiettes, saviez-vous qu'ils vivent un incroyable périple ponctué d'obstacles et de transformations ? On vous raconte leurs aventures.

1-Portrait de ‘Ao le héron strié (©Vetea Liao)

Sur le chemin du lagon, il n’est pas rare de croiser des oiseaux qui survolent les rivages ou se déhanchent élégamment sur les récifs. Ces espèces jouent un rôle essentiel dans l’équilibre des écosystèmes insulaires. Curieux de ces alliés ailés souvent méconnus, nous avons décidé de consacrer un article à certains d’entre eux.

Des alliés ancestraux

Les oiseaux jouent un rôle essentiel dans la vie des Polynésiens. Observateurs attentifs de la nature, les habitants des îles ont su décoder leurs comportements pour pêcher, naviguer et même interpréter des signes divins. Au-delà de leur symbolisme, ces oiseaux participent activement à l’équilibre des écosystèmes terrestres et marins. En nichant sur les arbres au bord de mer, ils fertilisent les sols, nourrissent les récifs coralliens et créent ainsi un cercle vertueux entre terre et océan. Dans cet article, nous parlerons de quatre d’entre eux, deux sédentaires et deux migrateurs pour mieux comprendre leur rôle et leur singularité.

2- L’Envol de ‘Ōtu’u, l’aigrette sacrée (©Vetea Liao)

‘Ōtu’u et ‘Ao, des pêcheurs habiles et patients

‘Ōtu’u, l’aigrette sacrée et ‘Ao, le héron strié, se ressemblent : ils ont de longues pattes et un cou replié en S qui leur confère une silhouette gracieuse mais prête à l’attaque ! Leur bec, effilé et pointu, leur permet de harponner poissons et crustacés avec précision. Ces oiseaux chassent principalement à l’affût, immobiles dans les eaux peu profondes avant de porter un coup rapide et efficace.

Différents plumages

L’aigrette arbore un plumage varié, pouvant être blanc, noir ou bicolore. Ces différences de plumages sont en lien avec son environnement. Les blanches sont plus communes dans les Tuamotu, où les plages sont de sable blanc. Les aigrettes grises sont plus fréquentes sur les plages sombres et les vasières. C’est une adaptation morphologique pour mieux se fondre dans leur milieu.

‘Ao le héron strié présente une crête grise distinctive chez les adultes et des stries brun rouge chez les juvéniles. Il a également un profil ramassé, on dirait qu’il n’a pas de cou, il est en fait replié et caché par de longues plumes. Ce héron est largement répandu à travers le monde mais la sous-espèce présente en Polynésie française est endémique de Tahiti ! Ce petit héron se distingue aussi par son habitat, il apprécie particulièrement les berges de pūrau où il niche et chasse des proies variées, allant des poissons aux insectes et lézards.

10- Plumage adulte du héron strié (©Vetea Liao)

11- Plumage du juvénile et de l’adulte héron strié (©Sarah Coelho)

D’autres oiseaux fréquentent nos rivages, quatre espèces sont dites limicoles. Les limicoles sont de petits échassiers qui se nourrissent dans la vase ou le sable. Parmi eux, on trouve Meho, la Marouette fuligineuse ; Tuki (Fatu Hiva), le Bécasseau sanderling ; Tōrea, le Pluvier fauve et le ‘Uriri le Chevalier errant. Leur silhouette élancée, leurs longues pattes et leur bec adapté leur permettent d’explorer les rivages et les zones vaseuses à la recherche de nourriture.

Le pluvier et le chevalier, des compagnons de voyage

Ici nous ne parlerons que de Tōrea et ‘Uriri. Ces migrateurs passent l’été boréal (mai/juillet) dans les régions arctiques, mais l’hiver ils migrent vers le sud, certains se donnent rendez-vous en Polynésie ! Bien qu’ils soient de valeureux migrateurs, une partie d’entre eux restent sur nos plages, nous pouvons donc les observer toute l’année.

12- Tōrea et ‘Uriri sur la plage à Tautira (©Vetea Liao)

Comment les distinguer ?

Tōrea, avec son bec court et ses grands yeux, chasse principalement à vue. Ses proies incluent des larves, des insectes et de petits crustacés. Dans la culture polynésienne, il est associé à la vigilance, ses cris avertissant des dangers imminents. On peut l’observer en groupe de plusieurs individus.

À l’inverse, le chevalier errant, comme son nom l’indique, semble errer seul sur la plage. Il utilise son bec fin pour fouiller la vase et se nourrit d’insectes aquatiques et de leurs larves. Son nom tahitien est ‘Uriri, en référence à son cri « ouriri », qu’il répète plusieurs fois de suite. Il est considéré comme le messager des dieux de l’eau. Sur la plage, c’est lui qui crie lorsqu’il s’envole.

Une légende des Tuamotu raconte comment ces deux espèces ont décidé de leurs rôles et ont appris à cohabiter. En effet, bien qu’elles fréquentent les mêmes habitats, elles ne sont jamais en compétition. Elles ne chassent pas les mêmes proies, et leurs becs – outils spécialisés des oiseaux pour se nourrir – ont des formes différentes. De plus, elles se reproduisent chacune de leur côté : Tōrea dans les steppes de l’Arctique sibérien et de l’Alaska, et ‘Uriri en Alaska ainsi que sur la côte ouest du Canada.

 

La Polynésie, une terre d’accueil

La présence de Tōrea et ‘Uriri, tout comme celle de la baleine Tohora ou de Puhi, l’anguille, témoigne des connexions entre la Polynésie et d’autres terres lointaines.
N’est-il pas merveilleux de cohabiter avec toutes ces espèces, venues d’ici et d’ailleurs ?
Leur garantir un accueil de qualité est essentiel à l’équilibre du fenua et, par conséquent, à notre qualité de vie. Ce qui est fascinant, c’est que cet équilibre a également un impact sur des écosystèmes éloignés.

Malheureusement, en aménageant les berges, en exploitant les rivières ou en introduisant des espèces envahissantes, nous détruisons les milieux où ces oiseaux vivent. Cela fragilise certaines espèces. Par exemple, le héron strié, qui apprécie particulièrement les berges de pūrau, est en si grande difficulté que l’association Manu délocalise certains individus à Huahine pour garantir la survie de l’espèce. Pour plus d’informations sur les oiseaux, n’hésitez pas à consulter leur site.

Les initiatives en faveur de l’environnement sont nombreuses. Chacun peut y contribuer, que ce soit en rejoignant une association ou simplement en admirant et respectant la nature qui nous entoure.

 

16-L’aigrette, elle, semble s’accommoder des mangroves (©Vetea Liao)

Noms Tahitien / Français / scientifiques des espèces citées

‘Ōtu’u / Aigrette sacrée / Egretta sacra

‘Uriri / Chevalier errant / Tringa incana

Tōrea/ Pluvier fauve / Pluvialis fulva

‘Ao / Héron strié / Butorides striata

Meho / Marouette fuligineuse / Porzana Tabuenis

Turi (Fatu Hiva)/ Becasseau de sanderling / Calidris Alba

Tohorā / Baleine a Bosse / Megaptera novaeanglia

Puhi / Anguille / Anguilla sp.

Pūrau / Hibiscus tiliaceus

‘āoa/Mangrove/ Rhizophora stylosa

 

Sources : -Ouvrage : Guide des oiseaux de polynésie française- Caroline Blanvillain,
Site : -Oiseau .net ; Wikipedia